Pour tracer l'histoire de la Compagnie de Flottage du Saint-Maurice Limitée, il s'avère utile de reculer dans le temps, à l'époque où le flottage se faisait à bûches perdues jusqu'à l'embouchure de la rivière, lieu de partage des billes entre les entrepreneurs en sciage. Bien qu'il n'existe aucun document attestant avec précision le début du flottage du bois sur la Saint-Maurice, il appert que déjà, en 1833, «les flotteurs faisaient en grande diligence la descente du bois sur la rivière.» (Napoléon Caron, Deux voyages sur le Saint-Maurice, Sillery, Septentrion, 2000, p.182).
Ce n'est qu'en 1852 que l'on peut véritablement parler d'exploitation forestière sur une grande échelle à la suite des travaux effectués par le gouvernement fédéral qui allaient donner un coup d'envoi à l'expansion des opérations forestières et au commerce du bois. La descente des billots est désormais facilitée par «la fameuse glissoire de mille pieds de long [sic]» (Thomas Boucher, Mauricie d'autrefois, Les Trois-Rivières, Editions du Bien Public, 1952, p.29) dressée à Shawinigan et par les nombreux piliers auxquels sont retenues les innombrables estacades.
En 1870, un million de billots empruntent déjà librement, le printemps venu, le chemin de la rivière Saint-Maurice jusqu'aux nombreuses scieries. Vers la fin du dix-neuvième siècle cependant, le marché du bois se transforme graduellement du bois de sciage au bois de pulpe en raison de l'avènement, d'abord à Grand-Mère de la Laurentide Pulp and Paper Co., puis à Shawinigan de la Belgo-Canadian Pulp and Paper Company, toutes deux pionnières de l'industrie papetière en Mauricie.
En mars 1903, les représentants des cinq principales compagnies qui faisaient flotter du bois sur la rivière Saint-Maurice s'entendent sur la nécessité de former une association, laquelle prendra officiellement forme, un an plus tard, sous la dénomination «The St.Maurice River Driving and Improvement Association». Au cours des cinq années subséquentes, les membres des compagnies représentées assumeront à tour de rôle la direction des opérations de flottage entraînant, année après année, insatisfaction et récriminations de la part des autres membres. Tant et si bien qu'en 1908, tous les représentants conviennent de l'urgence de mettre sur pied une compagnie libre et autonome, entièrement vouée à la drave et dont le personnel serait distinct des compagnies membres.
Ainsi, le 8 janvier 1909, la St.Maurice River Boom and Driving Company Limited obtient sa charte fédérale à la suite d'une requête adressée à l'Honorable Charles Murphy, Secrétaire d'état dans le cabinet de Sir Wilfrid Laurier par un groupe d'instigateurs constitué de :
Robert F. Grant, gérant de St.Maurice Lumber Company,
Joseph M. Dalton, gérant de Grès Falls Co. et Union Bag Co.,
Alexander Baptist, président de Alexander Baptist Lumber Co,
Vivian Burrill, marchand et propriétaire d'une scierie,
Georges Chahoon Jr, gérant de Laurentide Paper Company,
Jean Hubert Biermans, gérant de Belgo-Canadian Pulp and Paper.
A Trois-Rivières, le 13 mars 1909, un comité provisoire est formé. Il se compose de Robert F. Grant, élu président, Georges Cahoon Jr et Joseph M. Dalton. R.B. Blair (fils de Purvis Blair alors intendant pour Alexander Baptist) agit à titre de secrétaire. Ce même jour, se tient la première assemblée générale des actionnaires de la compagnie. Sont présents : Charles F. Burrill, Alexander Baptist, Hercule Dansereau Jr, Georges Chahoon Jr, B.C. Small, J.A. Bothwell, Alexander MacLaurin, Joseph M. Dalton, Jean Hubert Biermans, Robert F. Grant, H.G. Ham et A.W. Stevenson. L'honorable Jacques Bureau, avocat du groupe Bureau, Bégin et Lajoie, siège à titre d'avocat-conseil de la compagnie.
Le capital initial est de 25 000 $. Les parts, au montant de 100 $, sont allouées aux propriétaires des scieries et des usines de papier au prorata de la quantité de bois flotté sur la rivière au cours des années 1906, 1907 et 1908. Outre les membres du comité provisoire qui ont souscrit à une action chacun, la répartition des actions se traduit comme suit:
St.Maurice Lumber Co, 45 actions,
Gres Falls Co, 40 actions,
Alexander Baptist, 15 actions,
Laurentide Paper Co Ltd, 27 actions,
Belgo Canadian Pulp & Paper Co Ltd, 16 actions,
J. Hercule Dansereau, 1 action.
Lors de cette réunion, on procède également à l'élection du premier conseil d'administration de la St.Maurice River Boom & Driving Company Limited. Sont élus : Robert F. Grant (président), Joseph M. Dalton (vice-président), Alexander Baptist, Jean Hubert Biermans, M.C. Small, Charles Burrill et J. Hercule Dansereau. On engage une permanence en la personne de R.B. Blair, lequel cumulera les fonctions de gérant et de secrétaire-trésorier jusqu'en 1912.
Le premier siège social est aménagé sur l'Ile Saint-Christophe. Il déménagera bientôt rue Champflour dans un local du moulin à scie appartenant à Charles F. Burrill. En 1917, à la suite d'un incendie, un nouvel édifice sera construit de l'autre côté de la rue, à côté de la gare de Trois-Rivières. Le siège administratif s'y installera jusqu'au terme des activités de la compagnie, en 1998.
La société nouvellement formée assume la «grande drave» c'est-à-dire celle qui se pratique sur la Saint-Maurice. L'autre, que l'on retrouve sur les tributaires, relève plutôt des différents entrepreneurs qui y font chantier. La St.Maurice River Boom & Driving Co. assure le flottage de tous les billots qui appartiennent aux compagnies-actionnaires, depuis La Tuque jusqu'à Trois-Rivières.
Pour une meilleure répartition des coûts d'opération, la rivière est d'abord divisée en six sections:
1) La Tuque à Rivière au Rat
2) Rivière au Rat à rivière Mattawin
3) Rivière Mattawin à rivière Mékinac
4) Rivière Mékinac au barrage Grand-Mère
5) Barrage Grand-Mère au barrage Shawinigan (glissoire)
6) Baie Shawinigan à Trois-Rivières
Peu à peu, les opérations forestières gagnent du terrain vers le nord et le flottage qui en découle est sous la juridiction de Upper Drive and Improvement Association, un groupement formé par les compagnies qui agissent de Windigo à La Tuque. En 1920, les activités de cette dernière sont reprises par la St.Maurice River Boom & Driving Co. Limited dont l'action, avec cette fusion, s'étend maintenant depuis Sanmaur jusqu'à Trois-Rivières, un parcours d'environ 300 km. Dès lors, la rivière est redivisée: la «upper drive» (division supérieure) couvre la partie en amont de La Tuque et la «lower drive» (division inférieure), la partie en aval, ci-haut décrite.
Les cinq sections de la «upper drive» sont ajoutées :
1) Barrage Trenche au tri de La Tuque
2) Barrage Rapide Blanc au barrage Trenche
3) Rapide des Coeurs au barrage Rapide Blanc
4) Crique Cyprès au Rapide des Coeurs
5) Sanmaur au crique Cyprès
En 1917, la St.Maurice River Boom & Driving Co., en échange de redevances annuelles, obtient par baux successifs la gestion de toutes les structures érigées sur la rivière par le gouvernement fédéral : glissoires, estacades, écluses, etc. La compagnie peut également, de par sa charte, construire de nouvelles structures et acquérir toutes propriétés ou équipements jugés nécessaires au flottage du bois.
Par ailleurs, en plus de diriger les billes flottantes vers les glissoires et les différentes «trilles» (lieux d'échange de billots), des équipes de draveurs, affectées à différentes sections de la rivière, voient à la construction, à l'installation et à l'entretien des estacades et des piliers. Ils doivent aussi défaire les embâcles, nettoyer les rives et récupérer les billes errantes et ce, aussi loin que le pont de Québec, sur le fleuve Saint-Laurent.
Le développement de la compagnie est sous la responsabilité du conseil d'administration composé d'un président, d'un vice-président, de trois à sept directeurs et d'un secrétaire-trésorier. Parmi ceux qui laisseront leur marque, mentionnons Robert F. Grant; il assumera la présidence pendant vingt-six ans.
Durant les années vingt, sept usines de papier journal et trois scieries importantes flottent leur bois sous la responsabilité de la compagnie. Bon an mal an, la St.Maurice Boom & Drive deviendra l'une, sinon la plus importante compagnie de flottage au monde et emploiera annuellement jusqu'à six cent hommes affectés au flottage, au triage, au mesurage et aux travaux de réparation des équipements. Les frais reliés au flottage sont répartis entre les membres. En plus des volumes de bois imputés à chaque compagnie-membre, le coût est calculé en fonction de la distance que parcourent les billes. Ainsi, il en coûte 40% de plus pour le bois mis à l'eau à Sanmaur jusqu'à Trois-Rivières que pour celui qui s'arrête à La Tuque.
Avant 1958, chaque compagnie possédait son propre département de mesurage pour établir les volumes de bois. Après cette date, une équipe unique de mesureurs de la St.Maurice River Boom, sous la direction du service de l'établissement des volumes, voit à dénombrer les billes de ses compagnies-membres, quelles que soient leurs longueurs en utilisant un système d'échantillonage photographique mis au point par R.G. Belcher et W.H. Martin de la C.I.P. en 1956. Les caméras utilisées pour le dénombrement des billes sont remplacées, en 1976, par des ciné-caméras, lesquelles sont supplantées à leur tour par les caméras-vidéo, en 1983.
Au milieu des années soixante, devant un nombre grandissant de plaintes de la part d'usagers frustrés de leur droit d'accès à la rivière, un budget est alloué annuellement pour la publicité et les relations publiques. Cocktails et soupers, auxquels sont invités dignitaires et medias remportent un vif succès. La compagnie met des embarcations au service des pêcheurs et chasseurs et pour faciliter la tâche du traversier à Saint-Jean-des-Piles. Sur demande, des estacades sont déplacées libérant ainsi la rivière pour la tenue d'événements sportifs. Une copie de toutes les dépenses encourues est envoyée au Ministère des travaux public à Ottawa afin de prouver la bonne volonté de la compagnie à développer des relations harmonieuses avec les usagers.
En 1966, l'Union de bûcherons et employés de scieries, local 2817, affiliée à la Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique est nommée agent négociateur pour les employés de la compagnie par la Commission des Relations de Travail du Québec. Le premier contrat de travail est signé un an plus tard.
A compter de 1978, un programme d'amélioration d'estacades, de nettoyage et de mouvement de bois, supporté au cours des années ultérieures par le gouvernement fédéral, est mis de l'avant dans le but de promouvoir l'usage multiple (industriel et récréatif) de la rivière.
A la suite de l'émission d'un certificat de francisation, en 1981, par l'Office de la langue française, la compagnie prend le nom de Compagnie de Flottage du St-Maurice limitée (CFSM). Les rapports annuels et les procès-verbaux sont dès lors rédigés en français.
En 1989, l'Association des industries forestières du Québec (A.I.F.Q.) commande une étude quantitative sur l'impact du flottage sur la qualité de l'eau et de la vie aquatique. Les résultats, dévoilés en 1990, révèlent que les effets sont «généralement minimes».
Au fil des ans, la compagnie doit faire face à un nombre croissant de réclamations pour dommages à des moteurs de bateaux en raison principalement des billes errantes à la verticale (dead heads), lesquelles ne sont pas arrêtées par le système des estacades. Pour l'été 1991 seulement, ces réclamations s'élèvent à cinquante et une. Le suivi de cet aspect du partage de la rivière exige un temps considérable de la par des gestionnaires de la compagnie. La plupart des litiges sont réglés par voie de négociation mais certains connaissent un dénouement devant les tribunaux. Au cours des annnées quatre-vingt-dix, la compagnie enregistre également de nombreux vols et cas de vandalisme. Dans la plupart des cas, les enquêtes policières s'avèrent vaines et l'isolement des lieux des délits ne permet pas, à moins d'y engager des sommes importantes, de se prémunir contre les récidives.
Dans le but de fournir de l'information sur le flottage du bois et de garantir une collaboration avec les usagers, la compagnie assure une représentation auprès de plusieurs organismes et comités parmi lesquels figure la Corporation de gestion du développement du bassin de la rivière Saint-Maurice (C.G.D.B.R.) vouée à la promotion du développement de la navigation récréative et touristique.
L'année 1992 connaît une diminution de 63% des volumes de bois flotté, conséquence de la fermeture du principal membre-actionnaire de la CFSM : l'usine Produits Forestiers Canadien Pacifique Ltée (P.F.C.P.), anciennement la C.I.P. inc. de Trois-Rivières. Aussi, pour la première fois, on suspend le flottage pendant les vacances de la construction (deux dernières semaines de juillet) entre La Tuque et les Piles. En outre, d'autres papetières, pour se soumettre aux récentes tendances du marché et aux nouvelles normes anti-pollution, doivent moderniser leurs équipements et les nouvelles technologies en matière de transformation du bois en pulpe exigent désormais un approvisionnement en copeaux secs. De fait, les années subséquentes affichent une baisse constante du volume de bois hissé aux usines. Le flottage est en déclin.
Par ailleurs, à titre de gestionnaire du flottage depuis près de cent ans, la Compagnie de flottage est tenue responsable de la pollution engendrée par cette activité et endosse l'obligation d'adopter les mesures correctrices qui s'imposent en vertu du Programme d'assainissement des eaux. Cette responsabilité se traduit concrètement par un plan d'action en deux étapes échelonné sur une période de quatre ans. D'abord, la cueillette du bois non calé (billes errantes) puis, la récupération du bois calé (billes qui dorment dans le lit de la rivière). Cette dernière étape, de loin la plus complexe, cible les zones les plus touchées par l'accumulation de billes.
La réussite de ces opérations de «dépitounage» est le fruit d'une concertation entre plusieurs acteurs : les gouvernements appuient le projet par le biais de programmes d'emploi, Hydro-Québec intervient pour abaisser, au moyen des barrages, le niveau de la rivière d'environ 2 mètres et enfin, la CFSM, avec son expertise et son support technique, assure la réalisation des travaux. Les activités de nettoyage mobilisent également quelques organisations dont des ligues de citoyens et des associations de riverains.
L'année 1994 marque un point tournant avec la fin des mises à l'eau du bois et le début du nettoyage final (brûlage d'amoncellements des billes non-commerciales et récupération des billes commerciales). Cette activité occupe massivement le personnel de la compagnie. En 1995, le tronçon La Tuque/Grand-Mère connaît sa dernière saison de drave. Les coûts reliés au flottage basculent complètement au bénéfice des activités de nettoyage. Le démantellement du réseau d'estacades, commencé en 1996, suivi de la démolition des piliers d'ancrage, se poursuit jusqu'à leur complète disparition du paysage de la rivière. Au terme de l'année 1998, tous les objectifs de nettoyage sont atteints. Avenor inc. et Abitibi-Consolidated inc., actionnaires majoritaires, disposeront des actifs au cours des mois à venir et procéderont à la dissolution de la Compagnie de Flottage du Saint-Maurice ltée.
Pour les administrateurs, cette présence de quatre-vingt-dix ans sur la rivière Saint-Maurice prend fin avec un fort sentiment d'avoir contribué à enrichir l'histoire régionale.
Douze présidents auront été aux commandes de la compagnie :
1909-1935 Robert F. Grant
1936-1952 Henry Sorgius
1953 J.V. Perrin
1954-1961 J.A. Michaud
1962-1963 Harold E. Graham
1964-1970 Robert E. Kirkpatrick
1971-1972 William F. Wolstenholme
1973-1975 Laurent Girard
1976 Kenneth Allan
1977-1984 John T. Smith
1985-1990 R.D. Goodfellow
1991-1999 Michel Doyon
Dix directeurs en ont assumé la gérance.
1909-1912 R.B. Blair
1912-1914 E.M. McLaren
1915-1917 W. Adams
1918-1921 D.A. Evans
1922-1949 Henry Sorgius
1950-1959 Steinar Jenssen
1960-1968 George Hamilton
1969-1980 Arthur D. Perley
1981-1991 Ted Gignac
1992-1998 Luc Lafond